Page:Mirbeau - Chez l’Illustre écrivain, 1919.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attendre le nouveau hasard d’une nouvelle rencontre !

— Ah ! c’est toi ?

— Quel plaisir de se revoir, hein ?

— Ne m’en parle pas !… Et qu’est-ce que tu fais ?

— Toujours la même chose !… Et toi ?

— Moi aussi !… Il faudrait pourtant se voir un peu !

— Ça oui, par exemple !

— Un de ces jours, hein ?

— C’est ça ! Un de ces jours, mon vieux !

— Alors, à un de ces jours !…

— Ah ! nous en avons des choses à nous dire ! Crois-tu ?

— Depuis le temps !… à un de ces jours !

Et nous étions aussi ignorants, aussi ignorés l’un de l’autre que si nous vivions, lui au fond de l’Australie, moi dans les glaces de la Laponie.

Tout ce que je savais de lui, du moins, tout ce que je soupçonnais de lui, c’est qu’il était un de ces braves gens comme il s’en trouve tant dans la vie, un de ces braves gens dont il n’y a pas grand’chose à dire, sinon que ce sont des braves gens ! Et je n’en dirais rien, aujourd’hui, si sa veuve n’était venue me voir, hier. Je ne la connaissais pas. C’était une petite bonne femme, sèche et pointue, avec des bandeaux gris, et une bouche si mince que, lorsqu’elle la fermait, on ne pouvait distinguer à première vue le trait des lèvres.