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semblaient très humiliés de se savoir inférieurs à ce ramassis de sottes et féroces gens qu’était cette foule… Ils se disaient mutuellement, avec cette modestie qui les caractérise et les rend ignorants de leur force et de leur beauté :

— Si les hommes, rois de la nature, sont si stupides et si laids, qu’est-ce que nous devons être, nous autres, pauvres chevaux !…

Le jeune homme, suivi de ses amis, auxquels s’étaient joints quelques admirateurs spontanés, descendit triomphalement le boulevard. Puis, il s’arrêta à la terrasse d’un café. Il était fort excité, et des éloquences révolutionnaires bouillonnaient dans son âme.

— Ainsi, s’écria-t-il, nous sommes dans un pays de liberté. Et je n’ai pas le droit de faire ce qui me plaît !… Battre les bêtes, si c’est mon plaisir… et pisser où il me convient… C’est monstrueux !… Toujours des restrictions et des entraves au développement des besoins humains ! Eh bien, moi, je n’appelle pas ça de la liberté. La liberté, c’est d’écraser les chiens, battre les chevaux, et pisser partout où l’on veut. Voilà ce que c’est que la liberté.

— Bravo ! bravo ! bravo !…

— Si j’étais roi de France, ou empereur, ou Président de la République française, je rendrais un décret ainsi conçu : « Article premier. — Il est permis de pisser partout, partout où l’on veut ».