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Tout à coup, un jeune homme, très élégamment vêtu, que suivait une bande d’amis, empoigna le cheval de tête par la bride, en déclarant :

— Les chevaux… ça me connaît !… Vous allez voir… Je vais bien les faire démarrer, moi !…

Et d’une voix subitement furieuse :

— Hue !… carcan… ! cria-t-il.

En même temps, levant sa canne, il en asséna de violents coups sur la tête de la bête.

— Hue donc !… Hue donc ! sale rosse !

La bête recula, se cabra un peu, plus offensée, je crois, de la sottise du jeune homme que des coups de canne. Philosophe, le charretier laissait faire, haussant les épaules, sa casquette complètement renversée en arrière, sur la nuque.

— Hue donc !… Hue donc !…

Et le jeune homme frappait à tour de bras. Un peu de sang coula d’une écorchure sur les naseaux de l’animal, qui reculait toujours mollement, ne se défendait pas, habitué qu’il était aux coups, sans doute.

La foule admirait l’audace du jeune homme, l’encourageait et répétait avec lui :

— Hue donc !… Hue donc !…

Alors une femme interpella le jeune homme :

— Je vous prie de cesser, monsieur, dit-elle. Vous n’avez pas le droit de battre ainsi des chevaux.

— Pas le droit ? riposta-t-il. Ah ! elle est forte,