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à lui faire toucher terre du bout de ses sabots, les sabots aussitôt se dérobaient… Et, les genoux fléchissants, l’âne se recouchait sur le pavé… avec une lueur ironique dans les yeux…

La foule, de plus en plus intéressée, s’enthousiasma :

— Bravo, l’âne !… Bravo, le petit âne !

Mais l’homme, criblé de lazzi et de quolibets, ne s’avoua pas vaincu.

— Écoute, fit-il au petit âne !… Écoute bien ce que je vais te dire… Si, dans une minute, tu ne t’es relevé tout seul, car je n’en puis plus et mes bras sont rompus, et si tu ne reprends pas gentiment ta promenade… eh bien… je vais te conduire aussitôt… et te vendre au manège des ânes vivants de l’avenue de Suffren.

L’âne dressa les oreilles et souleva la tête.

— Qu’est-ce que tu dis ?

— Je dis, reprit l’homme… que si tu ne m’obéis pas… dès ce soir, tu tourneras… tu tourneras, comme un toton, sur la plate-forme du manège de M. Helen…

Alors, d’un coup de reins, l’âne, avec une agilité surprenante, se mit debout sur ses quatre petites jambes fines et nerveuses, et, d’un pied sûr, il reprit sa marche à travers les voitures…

— C’était pour rire !… dit-il à l’homme…

Et, bientôt, tous les deux, l’âne et l’homme, disparurent parmi la foule…