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Il allait peut-être le battre, quand l’âne, brusquement, fléchit le genou et se laissa tomber, comme un petit âne mort sur le pavé… La foule applaudit… Quelques voix crièrent :

— Bravo, l’âne ! bravo, le petit âne !…

L’homme comprit qu’il ne tirerait rien de son petit âne par la violence. Il se mit à lui dire des paroles gentilles, le caressa sur l’échine, sur le col… lui souleva la tête :

— Allons, petit âne… relève-toi… Ne sois pas méchant… C’est très vilain, ce que tu fais là… Et tu me mets dans une situation déplorable… Tu vois… à cause de ton entêtement, tout le monde se moque de moi, à présent… Tu me rends ridicule, moi qui ne t’ai jamais battu… Relève-toi tout seul, comme un petit homme… voyons ! je t’en prie !

L’âne était étendu tout de son long, le col allongé, les jambes droites, confortablement, comme sur une bonne litière. À chaque objurgation de son maître, il faisait de menus mouvements de tête, et des regards malins passaient entre ses paupières mi-fermées, et tout cela voulait dire clairement ceci :

— Non… je ne me relèverai pas… Je suis bien mieux ainsi, et c’est toi qui l’as voulu, après tout… Pourquoi me relèverais-je ? puisque je ne peux pas marcher sur ce maudit pavé, pire que du verglas… Dieu ! que tous ces gens sont laids et ridicules qui me regardent !… Mais je