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garer, à tout instant, des unes et des autres… Et il glissait sur ses sabots mal ferrés… En dépit de son agilité, il manquait de tomber à chaque pas.

— Allons ! fais donc attention ! dit l’homme, qui lui parlait comme à une personne, mais très doucement, presque en camarade… Tu ne tiens pas debout !… On va se moquer de toi, bien sûr… Tu as l’air d’un petit âne pochard !…

L’âne secoua ses oreilles, qu’il avait très longues, pour exprimer un mécontentement, et une protestation… Et il regarda son maître et son regard sembla dire :

— Pourquoi aussi me conduis-tu dans cette avenue fourmillante et bruyante que tu sais dangereuse aux petits ânes ? Et pourquoi mes fers ne tiennent-ils pas le pavé ? C’est de ta faute. Tu aurais mieux fait de prendre par le détour des rues… D’ailleurs, j’ignore où tu me conduis, et j’aime savoir ce que je fais…

— Allons !… ne bavarde pas… et viens !… Pour un petit âne souple et léger comme tu es, descendre les Champs-Élysées, ce n’est pas une affaire… Et puis cette avenue est très chic… J’ai voulu que tu voies le beau monde !…

Le petit âne examina toute cette foule brillante et parée qui passait, dans tous les sens, auprès de lui. Il secoua, d’un mouvement plus impatient, ses longues oreilles, et il sembla dire à l’homme :

— Je ne le trouve pas beau, moi, ce monde-là !… J’aime mieux les gens de mon vil-