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La peur de l’âne.


L’autre jour, un homme conduisant un âne par la bride descendait les Champs-Élysées, à l’heure élégante. L’âne était tout petit, très svelte et joli. Il avait des jambes fines et nerveuses comme celles des chevreuils, des yeux expressifs, spirituels, enjoués et d’une telle douceur que je voudrais en voir de pareils aux visages des humains. Sa robe, lavée, peignée, lustrée, était gris-rose, et une raie d’un noir de velours brillant lui courait, comme un ruban, sur le dos… Je les rencontrai, l’âne et l’homme, juste en face de la grande trouée que forment les nouveaux Palais. À cet endroit, l’avenue est toujours fort encombrée par les voitures, et la circulation des piétons très difficile, surtout à cause des braves sergents de ville à qui est dévolu ce privilège de rendre impossible toute espèce de circulation dans Paris… Ce jour-là, l’encombrement était extrême, et, de plus, le pavé de bois, glissant, glissant… Le petit âne marchait péniblement, en rechignant, au milieu des voitures et des promeneurs, obligé qu’il était de se