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Elle remercie le Jésuite, et déclare qu’elle ne veut tenir un mari que d’elle-même. Et, comme il la reconduit :

— Vous avez tort, mon enfant… absolument tort… Vous êtes une jolie personne… Et un mari, c’est toujours un mari…

Et les jours passent… passent… Elle n’a pas de commandes de peinture, ni de broderies à faire, ni de copies, ni de leçons, ni rien… Ses derniers sous s’épuisent. Elle a dû vendre ce qui lui restait de petits bijoux… Va-t-elle donc en être réduite à la mendicité ?… Mais sa gaieté la soutient toujours, sa gaieté dissipe toutes les terribles images, tous les cauchemars de la détresse… Rentrée dans sa chambre d’hôtel meublé, elle chante pour ne pas écouter les voix de malheur qui lui disent : « Dans quelques jours, tu seras morte de faim ! » Et puis, elle calcule, en soi-même : « Si tout le monde me repousse… je suis jeune… je suis jolie… j’ai un ardent besoin de vivre… Je me vendrai comme j’ai vendu mes bijoux… Tant pis pour les bonnes Sœurs et les si bons Pères jésuites, qui l’auront ainsi voulu ! »

Pourtant, une troisième fois, elle retourne au couvent… La sainte Mère lui offre généreusement un scapulaire, quantité de médailles bénites, et un chapelet… un chapelet, si commode, si petit « qu’on peut très facilement s’en servir en omnibus »…