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Et même, à ce propos, je voudrais bien savoir quelle conception ma voisine se fait de l’amour, si elle répudie toutes les folies mystiques, toutes les sottises et tous les crimes sentimentaux par quoi les religions, les poésies, les littératures de tous temps et de tous les pays, ont dégradé et sali ce grand acte joyeux et terrible de la Vie… Je n’ai pas encore osé lui poser, à ce sujet, la moindre question. J’ai craint une désillusion, d’abord, et ensuite qu’elle ne vît là une ruse sournoise du désir, un moyen détourné de galanterie grossière. Et j’ambitionne que nos relations soient pures de tous mensonges, de toutes vulgaires actions.

Naturellement, comme il faut bien se connaître, je lui raconte mes histoires, elle me dit les siennes, sans réticences ; du moins, j’aime à le penser.

Aujourd’hui, elle m’a parlé de son enfance et de sa première jeunesse. Elle a été élevée en un couvent du Sacré-Cœur, dans une ville morte et silencieuse de la province normande. Chose curieuse et rare, cette éducation oppressive n’a jamais rien pu contre la franchise et la sincérité de sa nature. Elle affirme même qu’elle est sortie du couvent plus irrespectueuse, moins croyante qu’elle y était entrée. D’ailleurs, elle ne tire de ce phénomène aucune vanité, en faveur de son intelligence. La gaieté — son inaltérable gaieté — avec ce qu’elle comporte d’insouciance dans