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EROTIKA BIBLION

ambitieuse, fière, jalouse, partageant le gouvernement du monde avec son époux, assistant à tous ses conseils, et redoutée de lui-même.

Un hommage si universel, qui n’est pas sans doute le plus flatteur que l’on ait rendu à la beauté, faite pour séduire et non pour effrayer, prouve du moins que dans les idées des premiers hommes, le trône du monde fut partagé entre les deux sexes[1]. Un écrivain illustre, du siècle passé, a été plus loin ; il n’a pas fait difficulté de dire que cette prééminence de Junon sur les autres dieux était la véritable source d’où provenaient les excès d’adoration où les chrétiens sont tombés envers là Sainte-Vierge. Érasme lui-même a prétendu que la coutume de saluer la Vierge en chaire, après l’exorde du sermon, venait des anciens. En général, les hommes cherchent à joindre aux idées spirituelles du culte des idées sensibles qui les flattent, et qui bientôt après étouffent les premières. Ils rapportent, et sont bien forcés de rapporter tout à leurs idées, puisqu’ils ne peuvent saisir qu’en raison de ces idées ; or, ils savent qu’en tout pays on ne tire de la bonté et de l’affection des rois rien autre chose que ce qu’ont résolu leurs ministres ; ils croient Dieu bon, mais mené, et envisagent la cour céleste sur le modèle des autres. De là le culte de la Vierge, bien plus approprié à l’esprit humain que celui du Grand Être, aussi inexplicable qu’incompréhensible.

Aussi lorsque le peuple d’Éphèse eut appris que les

  1. On retrouverait dans l’antiquité beaucoup d’usages qui confirmeraient cette opinion. À Lacédémone, par exemple, quand on allait consommer le mariage, la femme mettait un habit d’homme, parce que c’est la femme qui met les hommes au monde. En Égypte, dans les contrats de mariage entre souverains, la femme avait l’autorité du mari, etc. (Diodore de Sicile, liv. I, chap. XXVII.)