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NOTES SUR

roses dont son lit était semé, il y en avait une sous lui Qui s’était pliée en deux : ce pli de la rose qui tient un Sybarite éveillé, nous a fourni un des dialogues les plus ingénieux de Fontenelle.

Les Sybarites furent, dit-on, les premiers qui menèrent aux bains publics des esclaves enchaînés, afin de les châtier à leur gré, s’ils épargnaient les parfums ou s’ils ne donnaient pas à l’eau sa juste température. C’est au sortir de ces bains qu’ils allaient s’enfoncer dans leurs lits jonchés de roses, jusqu’à ce qu’un nain ou un eunuque, leurs esclaves favoris, vinssent demander leurs ordres pour l’heure du repas.

Un écrivain du siècle d’Auguste, Strabon, a dit que, malgré cette incroyable mollesse des habitants de Sybaris, la ville s’éleva à un tel point de grandeur et d’opulence, que son empire s’étendait sur vingt-cinq cités ; il ajoute que les remparts de cette métropole de la Grande-Grèce renfermaient cinquante stades dans leur enceinte, et qu’elle pouvait mettre sous les armes trois cent mille hommes.

La raison ne voit pas trop comment Sybaris, sans législateurs et sans généraux, put subjuguer vingt-cinq villes ; comment, surtout des citoyens efféminés, que le pli d’une feuille de rose empêchait de dormir, pouvaient marcher aux combats au nombre de trois cent mille hommes.

Ce qui ajoute à mon scepticisme, c’est qu’il ne fallut que deux mois de siège à Milon de Crotone pour prendre d’assaut cette Sybaris, que son luxe avait rendue pendant tant de siècles le scandale de tout l’univers : le conquérant la brûla, et ensevelit les décombres de ses édifices sous les eaux de ses deux rivières. Ce désastre est rapporté par les historiens à l’an 1074 de la chronique de Paros, c’est-à-dire, il y ajuste vingt-trois siècles et demi.

(Tiré du Théâtre d’un poète de Sybaris
(Delisle de Sales), tome I.)