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LA THALABA

Le fondateur de Sybaris, en lui donnant le nom du premier des torrents, annonçait à l’Europe qu’il voulait perpétuer la race des grands hommes de la Grèce primitive ; mais, au bout de quelques générations, le citoyen dégradé alla puiser sur les rives du Crathis la beauté, l’indolence et l’oubli de soi-même.

Le tableau que l’antiquité a tracé des mœurs des Sybarites, offre des détails piquants pour la curiosité du philosophe, quoique l’ensemble ne soit destiné qu’à le faire rougir.

La jeunesse était élevée dans Sybaris comme si la nature n’y avait organisé que le plus faible des deux sexes. Dès qu’un enfant sortait du berceau, on l’habillait de pourpre, on décorait ses cheveux naissants de rubans tissus d’or ; on ne l’exposait en plein air que le visage couvert d’un voile ; point de gymnastique qui pût donner du ressort à ses organes ; il vieillissait petit et faible, sans être sorti de l’enfance.

Le gouvernement avili autorisait ces mœurs énervées. Il ne souffrait dans l’enceinte de ses remparts aucune profession dont l’exercice bruyant pût blesser la délicatesse des nerfs ; il défendait même d’y élever des coqs, parce que leur chant aigu troublait le sommeil fugitif de ce peuple de femmes.

Les Sybarites ne se promenaient jamais à pied : c’eût été à leurs yeux une jouissance d’esclaves ; ils montaient sur un char pour traverser la largeur d’une rue ou l’étendue d’une place publique. Il est vrai que ce genre de luxe, grâce à leur caractère indolent, n’était pas destructeur comme dans nos capitales. Les chevaux, accoutumés à aller au pas, pour ne point secouer leurs maîtres vaporeux et pusillanimes, n’écrasaient personne, et quand ils étaient obligés de sortir des remparts de Sybaris, ils mettaient un mois à faire un voyage de trois jours.

Je m’arrête sur les chevaux de Sybaris, parce qu’ils