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UNE SCÈNE DU TROISIÈME ACTE D’UBU Ror. (Document extrait de l’Album Comique.) sculpture », qu’il n’avait jamais vue, d’ailleurs. « Que Manolo s’en aille ! » répétait-il un instant plus tard. Puis soudain haussant le ton, il me prit à part et s’écria : « S1 votre Manolo ne s’en va pas, je le tue ». — « Ce serait dommage, il est très gentil..., etc. » Je répondais cela pour le calmer, quand tout à coup le drame se précisa.

Un revolver est toujours un objet net, scintillant et qui possède la propreté des objets dont on ne se sert guère qu’une fois. Jarry, suivant son habitude, devait bouleverser encore ici une opinion honnêtement admise. Tout à coup, en effet, 1l sortit de sa poche un affreux petit revolver bull-dog rouillé, sans éclat, sale comme un vieux porte-monnaie et qui, pensai-je, ne serait heureusement pas fichu de marcher, l’imbécile, quand, subitement, il le brandit en l’air et tira deux coups de feu sur Manolo. Je dois dire que personne ne prêta attention à l’incident. Même aucune dame ne s’évanouit,

ou si l’une d’elles se livra à

cette manifestation ce ne

fut pas à cause du crime.

Je crois même que je fus le

seul à me précipiter vers

Manolo qui s’était échappé

dans l’escalier pour se réfu-

gier dans la cave, tandis

que Jarry triomphant se

_levait en criant : « Je t’avais

— bien dit que je le tuerais»et

considérait d’un air satis-

fait un homme étendu

immobile à terre, et qui

n’était autre, heureuse-

ment, que Max Jacob fai-

sant un petit somme sur

le tapis.

Par un excellent hasard,

Manolo n’avait pas été

touché. Mais il avait eu

peur.{l exhala contre Jarry

la noble haine d’un pur

classique, devant une mani-

ROLE DU PÈRE UBu, DANS

UBu Ror. (Document extrait

de l’Album Comique).

festation romantique. Îl prononça même à cette occasion une parole historique : « La folie est souvent l’excuse de la connerie , Et la soirée se termina je ne sais plus au juste comment. Cette histoire un peu bêtement bohème n’a d’autre excuse que la qualité des acteurs qui en tinrent les rôles et notre extrême jeunesse. Tout cela est loin et si près de nous. Les uns sont morts, d’autres n’en valent guère mieux. On passait son temps à le perdre, pour beaucoup ce fut la meilleure façon de le gagner. Mais nul n’y songeait, il n’y avait ni peinture, ni art, ni littérature. Ce soir-là, chez moi, il y avait surtout deux ou trois hommes de génie. M.R.


A PROPOS DE LA RÉÉDITION

DES CONTES BIZARRES D’ACHIM D’’ARNIM 0) Tout me garde d’user de persuasion pour faire partager au lecteur l’enthousiasme qui s’empare de moi à la découverte des toujours plus originales et inégalables beautés que recèlent les trois nouvelles assez arbitrairement réunies par Gautier (1856) sous le titre superficiel de Contes bizarres. La production poétique, de Baudelaire à nos jours, est d’ailleurs de nature à avoir préparé un public, qui ne peut que grandir, à l’intelligence et à la réalisation affective de ces textes. Je ne commettrai pas l’imprudence, non plus, de me jeter à la poursuite de l’un quelconque des héros d’Arnim, dans un dédale de pérégrinations dont un certain nombre de critiques lttérai :x, bien qu’ayant très vite abandonné la partie, me paraissent être revenus assez mal en point. L’homme, chez Arnim, en dépit de ses effacements signalés, si nous l’interrogeons dans sa vie, est qualifié pour nous donner plus d’éclaircissements sur sa pensée profonde que le conteur. La faculté de transposition, quelque exceptionnelles qu’en soient ici les limites, ne doit pas nous dérober ce qui a précisément donné matière à cette transposition même. C’est là, c’est à son origine même que doit porter l’essentiel de notre investigation. Considérant une œuvre d’une richesse d’invention et de signification extrême comme celle d’Arnim, il importe de se demander de quoi cette œuvre est le reflet, de chercher à savoir si, à bien l’examiner, elle ne peut être tenue pour le produit d’un concours de circonstances, objectives et subjectives, éminemment favorable.

A cette question je répondrai que ce qui confère à l’œuvre d’Arnim son intensité particulière, et aussi paraît susceptible de lui faire accorder d’un instant à l’autre une valeur d’échange toute nouvelle, est qu’elle constitue en quelque sorte, de par ses déterminations, le lieu géométrique de plusieurs conflits de l’espèce la plus grave et dont nous sommes obligés de constater l’envenimement jusqu’à nous. Il faut sans doute remonter jusqu’à cette œuvre pour voir s’affronter dans des conditions idéales certains des grands modes de penser et d’agir qui se disputent plus violemment que jamais le comportement des hommes. Cette œuvre est unique en ce sens qu’en elle à la fois se consume et s’avive, sous toutes les faces qu’elle puisse revêtir au cours d’une vie, la bataille spirituelle la plus exaltante qui se livre encore et qui se soit livrée.

A. B.

. (1) AckIM D’ARNIM : Contes bizarres, illustrations par Valentine Hugo, introduction par André Breton (Ed. des Cahiers libres).


PEINTURES

Les quatre reproductions de peintures qui animent la page cicontre, réunies au hasard d’une exposition récente à laquelle devaient primitivement prendre part Miro et Dali, représentent des œuvres de Masson, de Borès, de Beaudin et de Roux. Dans l’ordre du mouvement plastique contemporain, ces peintres pourront être considérés comme les véritables héritiers d’une génération d’artistes qui fit de la peinture à Paris un art constamment créateur. En posant de nouveau le problème pictural sur des bases jeunes, ces quelques peintres, chacun selon son besoin et son mode d’expression particuliers, donnent à l’art de peindre qui n’est pas si vieux que l’on croit, une chance de durer en créant, et dese renouveler en retrouvant les mêmes sources. E. T.


L’ENFANCE DE L’ART

Fixer des traits, c’est jeter un filet d’images sur ce qu’on ne veut pas laisser fuir, c’est emprisonner un être, une chose dans un contour, donc les réduire en esclavage, les condamner à la décadence.