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mais le spectre me poursuivit, quoique, à ce qu’il semblait, plus enflammé de luxure que de rage : beaucoup plus rapide que moi, il m’atteignit, moi, sa mère, tout épouvantée. Dans des embrassements forcenés et souillés engendrant avec moi, de ce rapt vinrent ces monstres aboyants qui poussant un cri continu m’entourent, comme tu le vois, conçus d’heure en heure, d’heure en heure enfantés, avec une douleur infinie pour moi. Quand ils le veulent, ils rentrent dans le sein qui les nourrit ; ils hurlent et rongent mes entrailles, leur festin ; puis sortant derechef, ils m’assiègent de si vives terreurs que je ne trouve ni repos ni relâche.

« Devant mes yeux, assise en face de moi, l’effrayante Mort ; mon fils et mon ennemi, excite ces chiens. Et moi, sa mère, elle m’aurait bientôt dévorée, faute d’une autre proie, si elle ne savait que sa fin est enveloppée dans la mienne, si elle ne savait que je deviendrai pour elle un morceau amer, son poison, quand jamais cela arrivera : ainsi l’a prononcé le Destin. Mais toi, ô mon père, je t’en préviens, évite sa flèche mortelle ; ne te flatte pas vainement d’être invulnérable sous cette armure brillante, quoique de trempe céleste : car à cette pointe mortelle, hors celui qui règne là-haut, nul ne peut résister. »

Elle dit : et le subtil ennemi profite aussitôt de la leçon ; il se radoucit et répond ainsi avec calme :

« Chère fille, puisque tu me réclames pour ton père et que tu me fais voir mon fils si beau (ce cher gage des plaisirs que nous avons eus ensemble dans le ciel, de ces joies alors douces, aujourd’hui tristes à rappeler à cause du changement cruel tombé sur nous d’une manière imprévue, et auquel nous n’avions pas pensé) ; chère fille, apprends que je ne viens pas en ennemi, mais pour vous délivrer de ce morne et affreux séjour des peines, vous deux, mon fils et toi, et toute la troupe des esprits célestes qui, pour nos justes prétentions armés, tombèrent avec nous.

Envoyé par eux, j’entreprends seul cette rude course, m’ex-