Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’y resta pas longtemps : la rage inspira enfin les légions fidèles, et leur trouva des armes à opposer à cet infernal malheur.

« Aussitôt (admire l’excellence et la force que Dieu a mises dans ses anges puissants !) ils jettent au loin leurs armes ; légers comme le sillon de l’éclair, ils courent, ils volent aux collines (car la terre tient du ciel cette variété agréable de colline et de vallée) ; ils les ébranlent en les secouant çà et dans leurs fondements, arrachent les montagnes avec tout leur poids, rochers, fleuves, forêts, et les enlevant par leurs têtes chevelues, les portent dans leurs mains. L’étonnement et, sois-en sûr, la terreur, saisirent les rebelles quand venant si redoutables vers eux, ils virent le fond des montagnes tourné en haut, jusqu’à ce que lancées sur le triple rang des machines maudites, ces machines et toute la confiance des ennemis furent profondément ensevelies sous le faix de ces monts. Les ennemis eux-mêmes furent envahis après ; au-dessus de leurs têtes volaient de grands promontoires qui venaient dans l’air répandant l’ombre, et accablaient des légions entières armées. Leurs armures accroissaient leur souffrance : leur substance, enfermée dedans, était écrasée et broyée, ce qui les travaillait d’implacables tourments et leur arrachait des gémissements douloureux. Longtemps ils luttèrent sous cette masse avant de pouvoir s’évaporer d’une telle prison, quoique esprits de la plus pure lumière ; la plus pure naguère, maintenant devenue grossière par le péché.

« Le reste de leurs compagnons, nous imitant, saisit de pareilles armes, et arracha les coteaux voisins : ainsi les monts rencontrent dans l’air les monts lancés de part et d’autre avec une projection funeste, de sorte que sous la terre on combat dans une ombre effrayante ; bruit infernal ! La guerre ressemble à des jeux publics, auprès de cette rumeur. Une horrible confusion entassée sur la confusion s’éleva, et alors tout le ciel serait allé en débris et se serait couvert de ruines, si le Père tout-puissant, qui siège enfermé dans son inviolable