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amour la beauté qui, éveillée ou endormie, brille de grâces particulières. Alors d’une voix douce, comme quand Zéphire souffle sur Flore, touchant doucement la main d’Ève, il murmure ces mots :

« Éveille-toi, ma très belle, mon épouse, mon dernier bien trouvé, le meilleur et le dernier présent du ciel, mon délice toujours nouveau ! Éveille-toi ! Le matin brille et la fraîche campagne nous appelle ; nous perdons les prémices du jour, le moment de remarquer comment poussent nos plantes soignées, comment fleurit le bocage de citronnier, d’où coule la myrrhe, et ce que distille le balsamique roseau, comment la nature peint ses couleurs, comment l’abeille se pose sur la fleur pour en extraire la douceur liquide. »

Ainsi murmurant, il l’éveille, mais jetant sur Adam un œil effrayé, et l’embrassant, elle parla ainsi :

« Ô toi, le seul en qui mes pensées trouvent tout repos, ma gloire, ma perfection ! que j’ai de joie de voir ton visage et le matin revenu ! Cette nuit (jusqu’à présent je n’ai jamais passé une nuit pareille), je rêvais (si je rêvais), non de toi comme je le fais souvent, non des ouvrages du jour passé, ou du projet du lendemain, mais d’offense et de trouble que mon esprit ne connut jamais avant cette nuit accablante. Il m’a semblé que quelqu’un, attaché à mon oreille, m’appelait avec une voix douce, pour me promener ; je crus que c’était la tienne ; elle disait : Pourquoi dors-tu, Ève ? Voici l’heure charmante, fraîche, silencieuse, sauf où le silence cède à l’oiseau harmonieux de la nuit, qui, maintenant éveillé soupire sa plus douce chanson, enseignée par l’amour. La lune, remplissant tout son orbe, règne, et avec une plus agréable clarté fait ressortir sur l’ombre la face des choses ; c’est en vain si personne ne regarde. Le ciel veille avec tous ses yeux, pour qui contempler, si ce n’est toi, ô désir de la nature ? À ta vue, toutes les choses se réjouissent, attirées par ta beauté pour l’admirer toujours avec ravissement.

« Je me suis levé à ton appel, mais je ne t’ai point trouvé.