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garçon, portant une chemise semée de paillettes, un bonnet couvert de rubans de diverses couleurs et une trousse de médecin soigneusement travaillée, se leva et fit un discours en langue crie. Il s’exprimait avec beaucoup de dignité, ses gestes étaient aisés et gracieux, et sa parole facile. Il disait : « Moi et mes frères nous avons été très-inquiets en apprenant par les gens de la Compagnie qu’un grand nombre d’hommes blancs arriveront bientôt dans le pays et qu’il nous faudra prendre garde à eux. Dites-moi pourquoi vous êtes venus ici. Sur votre terre, vous êtes, je le sais, de grands chefs. Vous possédez en abondance des couvertures, du thé, du sel, du tabac et du rhum. Vous avez de magnifiques fusils, de la poudre et du plomb, autant que vous en pouvez désirer. Mais il y a une chose qui vous manque. Vous n’avez pas de bisons et vous venez en chercher. Moi aussi, je suis un grand chef. Mais le Grand Esprit ne nous a pas fait un partage égal. Vous, il vous a comblés de richesses variées, tandis qu’à moi il ne m’a donné que le bison. Pourquoi donc venez-vous dans ce pays détruire le seul bien que je possède, simplement pour votre plaisir ? Cependant, comme je sais que vous êtes grands, généreux et bons, je vous donne la permission d’aller où vous voudrez et de chasser autant que vous le voudrez ; et, quand vous entrerez dans mes loges, vous y serez les bienvenus. »

Après cette conclusion, il s’assit, reprit sa pipe et attendit notre réponse. Il avait exposé la situation avec tant de force et de vérité que nous nous sentions honteux de nous-mêmes et que nous aurions eu quelque difficulté à rétorquer ses arguments s’il n’avait pas terminé son discours si gracieusement[1]. Nous nous bornâmes donc à le remercier de sa courtoisie et à

  1. On peut comparer avec cette entrevue, celle que M. Hind eut avec les Sauteux. (Tour du Monde, 1860, 1er semestre, p. 279) « Nous n’avons pas besoin de l’homme blanc, disaient les Peau-Rouges ; quand l’homme blanc vient, il apporte la misère et la maladie, et notre peuple périt. » (Trad.)