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absolue où nous nous trouvions, nous charmaient profondément.

Nous avions abattu autant de canards qu’il nous en fallait. Nous débarquâmes donc au coucher du soleil, et, tirant nos canots hors de l’eau, nous les mimes sous les buissons qui bordaient la rivière à l’abri des regards de quelque Indien hostile ou errant, puis nous campâmes pour la nuit à la lisière de la prairie. Avant que nous eussions fait la moitié de nos préparatifs, la nuit était noire. Notre inexpérience nous mit dans un cruel embarras au sujet du bois sec qu’il fallait amasser pour notre feu et pour notre cuisine. Cependant nous finîmes par réussir à plumer, à fendre en deux et à ouvrir en aigles déployés nos canards ; ils furent rôtis sur des bâtons à la façon indienne, et en y joignant un peu de thé et quelques dampers ou gâteaux de pain sans levain, nous nous procurâmes un fameux repas ; puis nous nous roulâmes dans nos couvertures sub jove, sous la voûte des cieux, car nous n’avions pas de tente ; mais notre sommeil manqua de son calme habituel : il subissait l’influence des récits que nous avions entendu faire sur les maraudes des Sioux, et nous nous ne dormions que d’un œil.

Plus tard nous nous sommes mutuellement rappelés comment l’un ou l’autre de nous, se dressant tout à coup sur son séant, tâchait de percer de ses regards l’obscurité dès qu’un son inaccoutumé frappait son oreille, ou comment il se levait pour aller avec précaution examiner la cause des craquements et des frôlements qui s’entendent si souvent de nuit dans la forêt, mais qui pouvaient aussi bien trahir rapproche furtive d’un Indien ennemi. Les moustiques abondaient et contribuaient à nous empêcher de dormir. La lumière du matin nous fit constater qu’aucun de nous trois n’était dans son état habituel : Milton qui, sous les ardeurs du soleil, avait pagayé les bras nus, les avait à présent terriblement rouges, enflés et couverts d’ampoules ; Treemiss et Cheadle n’étaient plus reconnaissables,