Page:Milton - Cheadle - Voyage de l’Atlantique au Pacifique.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Camp de la Tuerie, nous n’avions rencontré aucune marque positive que jamais un homme eût visité cette épouvantable contrée. Ni un arbre portant l’entaille d’une hache, ni une branche rompue, ni les restes du feu d’un ancien bivouac n’étaient venus réjouir nos yeux. La vie animale était rare ; le silence solennel n’était rompu par le chant d’aucun oiseau, par le bruit d’aucune créature vivante ; et les ténèbres des forêts,


Nulli penetrabilis astro
Lucus inera[1]


citation fréquemment faite par M. O’B., augmentaient le sentiment de notre solitude. Notre maigreur et notre fatigue, dues au rude labeur et à la nourriture insuffisante des dix derniers jours, prouvaient évidemment que nous ne pourrions guère aller plus loin. Après notre dernier repas, nous tînmes un conseil de guerre. M. O’B., mettant de côté sa paire de lunettes à un seul verre et son Paley, y exposa la nécessité immédiate de tuer le petit cheval noir qu’il était ordinairement chargé de conduire. L’Assiniboine et Cheadle représentèrent que, dans la prévision d’une amélioration, il valait mieux se serrer le ventre encore quelques jours. M. O’B. protesta solennellement contre cette observation, et enfin l’on adopta la proposition de Milton. Il voulait que L’Assiniboine employât le lendemain à chasser ; s’il réussissait, nous étions sauvés ; si non, le Petit Noir mourrait. Ce projet laissait au cheval quelque chance pour vivre, car notre guide avait aperçu un ours dans la journée et le chien en avait dépisté un autre. Les traces d’ours étaient d’ailleurs assez nombreuses, et nous savions que L’Assiniboine était le chasseur le plus habile de la Saskatchaouane.

Notre guide se mit donc en chasse le lendemain de bonne heure ; Cheadle et le jeune garçon se dirigèrent vers un petit

  1. « Bois stérile dont les rayons d’aucun astre ne dissipaient l’obscurité… (Trad.)