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encore augmenté par la douceur singulière et par le timbre musical de sa voix.

Pendant notre séjour au fort Pitt, son plus jeune enfant tomba malade et mourut. Cette perte le rendit ainsi que sa femme assez malheureux, assez mécontents du sort, pour désirer quitter le lieu de leur infortune et s’offrir à nous accompagner. Nous étions très-disposés à nous assurer les services de l’homme qui avait la réputation d’être le voyageur et le chasseur le plus habile de tout le canton ; nous le souhaitions même vivement, mais nous ne nous souciions pas du tout de prendre en même temps sa femme et son fils, ce dernier n’ayant que treize ans. Cependant nous étions tellement charmés par lui que, malgré tous nos scrupules sur la prudence d’admettre des personnes que nous trouvions inutiles à un voyage aussi périlleux que le nôtre à travers les montagnes, à travers un pays où la nourriture devait être difficile à trouver, nous finîmes par lui donner un plein consentement. Or cet arrangement, qui paraissait alors si peu justifiable aux yeux de notre sagesse, devint, il faut l’avouer, la principale cause de notre salut.

L’Assiniboine n’avait qu’une main : la gauche lui avait été détruite par un fusil qui avait éclaté en ne lui laissant que deux doigts ; mais il avait autant d’adresse et d’habileté que s’il n’eût pas été manchot. Cependant la douceur de ses manières insinuantes qui nous avait séduits n’était pas d’accord avec son caractère ; car il était violent et passionné. Bien que la bonté rayonât sur toute sa personne et qu’il roucoulât aussi tendrement qu’une tourterelle lorsqu’il était calme ; si la colère l’emportait, sa figure prenait une expression diabolique et sa voix tonnait comme le rugissement d’un lion, D’ailleurs, dans les nombreuses épreuves que nous eûmes à subir, il se montra un serviteur aussi utile que fidèle et ne nous donna jamais lieu d’avoir à regretter de nous être laissés aller à la séduction de ses manières. Par la suite, nous avons appris que, dans une