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Lorsque notre odorat, péniblement affecté par la senteur d’une peau de moufette qui nous servait de thermomètre, nous eut avertis que le dégel approchait[1], nous pensâmes à nous occuper à chasser l’élan. Dans un rayon de plusieurs milles autour de notre logis, nous en avions vu beaucoup de traces, qui nous avaient donné l’espérance de faire une bonne chasse avec l’assistance de Rover. La surface de la neige, que fond le soleil durant le jour, est transformée en croûte solide chaque nuit par les gelées nocturnes, au commencement du printemps. Cette croûte a assez de force pour porter l’homme chausse de raquettes ou un chien de petite taille ; mais elle se brise sous la pression des petits pieds et de l’énorme poids de l’élan. Lorsqu’un chien le poursuit, l’animal essaye de s’échapper ; mais comme, chaque fois qu’il s’élance, il s’enfonce jusqu’aux jarrets et que les coupants de la glace le blessent aux jambes, il est bientôt réduit aux abois, et le chasseur en arrivant le tue à son aise. Il n’y a guère d’autre moyen que celui-là, si ce n’est celui de se mettre à l’affût en été, près des endroits où il se baigne dans les rivières et dans les lacs. C’est un animal des plus prudents et que le plus habile chasseur n’approche que très-difficilement. Peu de métis, et un plus grand nombre d’Indiens mais pas tous, ont, dans les circonstances ordinaires, assez d’adresse pour suivre à la piste et pour tuer un élan, et l’on dit dans le pays qu’un homme peut, toute sa vie, poursuivre un élan sans réussir à l’apercevoir. Cet animal se tient au cœur de la forêt où on ne le voit que quand on le touche pour ainsi dire ; son ouïe est si fine que la rupture d’une brindille ou le craquement d’une feuille morte suffit pour lui donner l’éveil. Un jour de vent, où les

  1. La peau d’une moufette que nous avions rejetée hors et près de notre hutte ne sentait rien par un froid intense ; mais, dès qu’il diminuait, elle puait assez fort. Suivant les variations de l’odeur qu’elle répandait, nous jugions de l’état de l’atmosphère. Cette odeur n’est pas aussi désagréable qu’on le dit, et ne devient intolérable que quand elle est très-forte. La glande qui la secrète est employée par les Indiens comme un remède pour la migraine et pour d’autres maladies. (Ed.) — Il s’agit ici de la moufette chinche ou d’Amérique. (Trad.)