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pas mis un seul morceau de nourriture sous la dent. Cheadle se comportait autrement. Se traînant péniblement jusqu’à midi sur ses raquettes, il éprouvait, par suite du vide de son estomac, une sensation si désagréable que peu à peu il se courbait en deux. Cette attitude excitait souvent l’hilarité de Miscouépémayou qui s’amusait beaucoup à lui crier « Keeipah, keeipah » (Allons vite, allons vite !). Il n’y avait d’autre remède à ces misères que de persévérer à marcher en avant. Enfin, il la brune, ils arrivèrent au chemin bien foulé qui commence il peu près à cinq milles du fort. On ôta les raquettes dont on chargea les traîneaux ; les chiens, flairant le terme de leur voyage, partirent au galop, et le Muskeeky Okey Mow lui-mème, tout à coup remis de ses fatigues, étonna fort ses compagnons, en courant à leur tête et en arrivant le premier à Carlton.

Le lendemain, tout étant prêt pour retourner immédiatement au secours de Milton, l’on s’aperçut que Kînémontiayou se trouvait dans un état d’ivresse complète. Vers midi il s’était assez remis pour que l’on partît avec sa promesse de marcher en toute hâte. Il avait même grande honte de sa conduite, il s’en repentait, mais surtout parce qu’il avait fait la folie d’échanger un beau couteau de chasse auquel il tenait beaucoup, contre une tasse à thé pleine de rhum. Il avait reçu ce couteau du Soniow Okey Mow, qui le lui avait donné il notre retour des plaines, en récompense de sa bonne conduite, et il avait juré de ne s’en séparer jamais. Mais, pour vaincre sa résolution, il avait suffi qu’un métis, qui convoitait ce couteau, lui eût offert à la place un peu de rhum. C’est une tentation à laquelle un Indien ne sait pas résister.

Après le départ de ses amis pour Carlton, Milton avait passé plusieurs jours dans une ennuyeuse solitude, augmentant à l’aide de son fusil sa maigre substance. Il avait fini par penser que la société de Kékékouarsis vaudrait encore mieux pour lui que de n’en avoir aucune. Il avait donc chaussé ses raquettes et s’était