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taient pas plus gros que le doigt d’un homme et qui s’y trouvaient assez serrés pour ne presque pas pouvoir bouger. Si on y mettait le bras, il semblait qu’on le plongeait dans une épaisse masse tout agitée. À l’entour, la neige était battue et aplanie comme celle d’une route par la foule des animaux qui y venaient prendre leur portion de ce repas de carême. De toutes parts, les pistes y convergeaient. On y voyait les empreintes légères qu’avait laissées le renard argenté ou croisé en trottant délicatement sur la neige de son pas léger comme l’air ; les lourdes marques du pékan plus grossier ; la piste nette et vivement tracée du foutereau ; la trace grosse et large du wolverène qui galope en tous sens et toujours. Des centaines de corbeaux perchés sur les arbres environnants dormaient en digérant leur copieuse nourriture. À en juger par l’état de la neige et par les amas de fiente, il y avait bien quatre semaines que ce repas durait, et pourtant l’abondance des mets devait y être aussi grande que jamais.

Ce fait local suffisait pourtant à nous expliquer pourquoi un grand nombre des rivières et des lacs d’eau douce de ce pays sont dénués de poissons, car les eaux, qui ne sont pas assez profondes pour ne pas être prises jusqu’au fond, doivent nécessairement perdre toute leur population lors de la gelée.

Nos trappeurs en revenant sur leurs pas virent que le wolverène avait marché sur leurs talons. Dans toute la route qu’ils avaient suivie la veille, les trappes étaient déjà démolies et les amorces enlevées. Cheadle aimait à s’imaginer qu’au moins son ennemi avait été trompé et s’était empoisonné ; mais Miscouépémayou lui fit observer que les bonnes amorces seules avaient été consommées ; les autres, coupées d’un coup de dent, avaient été soigneusement rejetées. Et cependant elles avaient été faites avec le plus grand soin ; la strychnine avait été injectée par un petit trou au centre de la viande qui, lorsqu’elle était gelée, ne laissait voir à l’œil aucune différence entre un morceau et un