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Les chalands amarrés, les barils, le charbon dormir
Et dans le linge dur des mariniers le vent courir.

Que faire ? Fuir ? Mais où ? Et à quoi bon ? La joie
Elle-même n’est plus qu’un beau temps de pays d’exil ;
Mon ombre n’est ni aimée ni haïe du soleil ; c’est comme un mot
Qui en tombant sur le papier perd son sens ; et voilà,

Ô vie si longue ! pourquoi mon âme est transpercée
Quand cet enfant trouvé, quand frère petit-jour
Par l’entrebâillement des rideaux me regarde, quand au cœur de la ville
Résonne un triste, triste, triste pas d’épouse chassée.


Te voici donc, ami d’enfance ! Premier hennissement si pur.
Si clair ! Ah, pauvre et sainte voix du premier cheval sous la pluie !
J’entends aussi le pas merveilleux de mon frère ;
Les outils sur l’épaule et le pain sous le bras,

C’est lui ! c’est l’homme ! Il s’est levé ! Et l’éternel devoir
L’ayant pris par la main calleuse, il va au-devant de son jour. Moi,
Mes jours sont comme les poèmes oubliés dans les armoires
Qui sentent le tombeau ; et le cœur se déchire

Quand sur la table étroite où les muets voyages
Des veilles de jadis ont, comme ceux d’Ulysse,