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LES TERRAINS VAGUES

Comment m’es-tu venu, ô toi si humble, si chagrin ? Je ne sais plus.
Sans doute comme la pensée de la mort, avec la vie même.
Mais de ma Lithuanie cendreuse aux gorges d’enfer du Rummel,
De Bow-Street au Marais et de l’enfance à la vieillesse

J’aime (comme j’aime les hommes, d’un vieil amour
Usé par la pitié, la colère et la solitude) ces terrains oubliés
Où pousse, ici trop lentement et là trop vite,
Comme les enfants blancs dans les rues sans soleil, une herbe

De ville, froide et sale, sans sommeil, comme l’idée fixe,
Venue avec le vent du cimetière, peut-être
Dans un de ces ballots d’étoffe noire, lisse et lustrée, oreillers
Des vieilles dormeuses des berges, dans les terribles crépuscules.

De toute ma jeunesse consumée dans le sud
Et dans le nord, j’ai surtout retenu ceci : mon âme
Est malade, passante, comme l’herbe altérée des murs,
Et on l’a oubliée, et on la laisse ici.