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H

Le jardin descend vers la mer. Jardin pauvre, jardin sans fleurs, jardin
Aveugle. De son banc, une vieille vêtue
De deuil lustré, jauni avec le souvenir et le portrait,
Regarde s’effacer les navires du temps. L’ortie, dans le grand vide

De deux heures, velue et noire de soif, veille.
Comme du fond du cœur du plus perdu des jours, l’oiseau
De la contrée sourde pépie dans le buisson de cendre.
C’est la terrible paix des hommes sans amour. Et moi,

Moi je suis là aussi, car ceci est mon ombre ; et dans la triste et basse
Chaleur elle a laissé retomber sa tête vide sur
Le sein de la lumière ; mais
Moi, corps et esprit, je suis comme l’amarre

Prête à rompre. Qu’est-ce donc qui vibre ainsi en moi,
Mais qu’est-ce donc qui vibre ainsi et geint je ne sais où
En moi, comme la corde autour du cabestan
Des voiliers en partance ? Mère

Trop sage, éternité, ah laissez-moi vivre mon jour !
Et ne m’appelez plus Lémuel ; car là-bas