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Je sens monter l’odeur des midis de l’enfance. Je n’ai pas oublié
Le beau jardin complice où m’appelait Écho, votre second fils, solitude.

Et je reconnaîtrais la place où je dormais jadis
À vos pieds. N’est-ce pas que la moire du vent y court encore
Sur l’herbe triste et belle des ruines, et du bourdon velu
Le son de miel ne s’attarderait plus dans la belle chaleur ?

Et si du saule tremblant et fier vous écartiez
La chevelure d’orphelin : le visage de l’eau
M’apparaîtrait si clair, si pur ! Aussi pur, aussi clair
Que la Lointaine revue dans le beau songe du matin !

Et la serre incrustée d’arc-en-ciel du vieux temps
Sans doute abrite encore le cactus nain et le faible figuier
Venus jadis de quel pays de bonheur ? Et de l’héliotrope mourant
L’odeur délire encore dans les fièvres d’après-midi !

Ô pays de l’enfance ! ô seigneurie ombreuse des ancêtres !
Beau tilleul somnolent cher aux graves abeilles
Es-tu heureux comme autrefois ? et toi, carillon des fleurs d’or,
Charmes-tu l’ombre des collines pour les fiançailles

De la Dormeuse blanche dans le livre moisi
Si doux à feuilleter quand le rayon du soir


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