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visage de l’univers je reconnais la mélancolie de ma propre conscience. L’immensité engendrée par l’infinitude des mouvements circonscrits est impuissante à combler le vide de mon âme ; il n’est point de hauteur accessible à l’extension du Nombre dont les instants ne soient comptés par le battement de mon cœur. Que m’importe donc toute cette distance du rien au rien ! Certes, je suis tombé d’un lieu fort élevé ; mais c’est un autre espace qui a mesuré la chute où j’ai entraîné le monde. Le lieu réel, le lieu seul situé est en moi, et voilà pourquoi l’Univers, ma conscience, veille, veille cette nuit, et me regarde. Ô mon Père ! mon mal n’a pas nom ignorance, mais oubli. Reconduis ton enfant aux sources de la Mémoire. Ordonne-lui de remonter le cours de son propre sang. Le mouvement de ma chute a créé l’espace-temps, cette eau qui dans l’immobile Illimité sur moi s’est refermée et pour laquelle il n’est pas en ma puissance d’imaginer un récipient. Que mon ascension projette donc l’Autre Espace, le vrai, l’originel, le sanctifié, et que l’univers que voici, le Fils de ma Douleur dont le regard nocturne est sur mon âme, avec moi s’élève vers la Patrie, dans le joyeux courant d’influences bruissantes de la béatitude dorée.