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tout entier m’est descendue dans la main et j’ai reçu au même instant la couronne de lumière.

Et regarde-moi ! environné d’embûches je ne redoute plus rien.

Des ténèbres de la conception à celles de la mort, un fil de catacombes court entre mes doigts dans la vie obscure.

Et pourtant, qu’étais-je ? Un ver de cloaque, aveugle et gras, à queue aiguë, voilà ce que j’étais. Un homme créé par Dieu et révolté contre son créateur.

« Quelles qu’en soient l’excellence et la beauté, aucun avenir n’égalera jamais en perfection le non-être. » Telle était ma certitude unique, telle était ma pensée secrète : une pauvre, pauvre pensée de femme stérile.

Comme tous les poètes de la nature, j’étais plongé dans une profonde ignorance. Car je croyais aimer les belles fleurs, les beaux lointains et même les beaux visages pour leur seule beauté.

J’interrogeais les yeux et le visage des aveugles : comme tous les courtisans de la sensualité, j’étais menacé de cécité physique. Ceci est encore un enseignement de l’heure ensoleillée des nuits du Divin.

Jusqu’au jour où, m’apercevant que j’étais arrêté devant un miroir, je regardai derrière moi. La source des lumières et des formes était là, le monde des profonds, sages, chastes archétypes.

Alors cette femme qui était en moi mourut. Je lui donnai pour tombeau tout son royaume, la nature. Je l’ensevelis au plus secret du jardin décevant, là où le regard de la lune, de la prometteuse éternelle se divise dans le feuillage et descend sur les endormies par les mille degrés de la suavité.