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Ta mère a dit vrai en t’écrivant que je passais tout mon temps dans la mansarde que j’appelle pompeusement mon atelier, et toi, fille irrespectueuse, mon antre... J’ai été flatté de voir que tu désires orner ton boudoirfumoir d’une croûte paternelle, aussi sois sûre que je soignerai ta commande, je ne suis pas surchargé de demandes. En l’absence de ta mère, nous menons. Paul et moi. la vie de garçon, mais de vieux garçons, et je ne sais pas quel est le plus vieux et le plus ours des deux. M. Milliet à sa fille.

8 décembre 1862.

Dimanche dernier, au théâtre, on donnait le Bossu, et à la maison, lecture d’un drame nouveau, inédit, en deux actes et en vers, intitulé : Fol Amour ! Je te dirai tout d’abord que cette œuvre a chuté de la façon la plus complète. La critique, représentée par ta mère et par Paul, a été sans pitié, je ne dis pas sans justice. En vain l’infortuné dramaturge offrait-il d’user de ciseaux ; on lui disait : des coupures ? Très bien. Parlait-il de se resserrer dans un acte ? Encore mieux. Bref, il devenait évident que la suppression de la pièce serait regardée comme le comble de la perfection. Ainsi, l’enfant de mes veilles !... étouffé au berceau ! C’est bien douloureux ! comme dit la romance. Ainsi, plus de mille vers de douze pieds chaque, bonne mesure... bons à jeter au panier ! Enfer ! La peinture ne va guère mieux. Je prends pourtant des leçons du jeune Albert Lugardon, une fois par semaine. Hélas, j’ai bien peur, après avoir jeté ma lyre au lac, d’en être réduit à briser mes pinceaux... Une ressource me reste, le jeu ! Oui. je me plongerai dans les dominos : je me lancerai dans une étude approfondie du bézigue ; peut-être m’éleverai-je au jaquet !

l’on père découragé et bien à plaindre. Donne-nous des nouvelles du Fils de Gibover. Lorsque, après la mort de ma sœur Alix, j’ai retrouvé cette lettre si touchante du vieux poète méconnu, qui essaie de tourner en plaisanterie son profond chagrin, j’ai été pris de remords, et je me suis demandé si je ne m’étais pas trompé dans mon jugement. J’ai relu le drame, et il m’a paru démodé ; mais ce n’est peut-être là qu’une impression personnelle. Les poésies légères de F. Milliet me semblent supérieures à ses œuvres dramatiques. Voici par exemple un rondeau qui devait servir de préface au recueil qu’il avait l’intention de publier. Félix Milliet.


RONDEAU

Envolez-vous, troupe folle et légère !...
Enfants chétifs de ma muse éphémère,
De vos aînés vous vous montrez jaloux,
Et vous brûlez dans votre audace altière,
D'aller, comme eux, embrasser ses genoux.
Si vous devez toucher son âme fière,
Sachant combien votre sort serait doux,
Sans hésiter, je vous dirais en père :
Envolez-vous !

Mais las ! Je tremble, ô mes chers petits fous !
Si vous alliez, éveillant son courroux,
Voir de dédain plisser sa lèvre amère ?...
Sans m'écouter vous brisez les verroux
De la prison. — Au fait, c'est votre affaire.
Envolez-vous !