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passé », ce qui me semble merveilleusement applicable à l’Élégie. L’échelle des tons qu’elle parcourt n’a pas besoin d’une grande étendue. Elle peut varier ses accents, mais qu’elle se garde bien de les forcer.

Les femmes sont les juges les plus délicats de ces convenances. Les plaintes emportées d’un amant les touchent moins qu’elles ne les effraient. Les cris d’un furieux repoussent jusqu’au fond de leur cœur un aveu prêt à s’échapper.

Quelques femmes de l’antiquité grecque (car il est remarquable qu’on ne cite, en poésie, aucune femme célèbre chez les Romains) obtinrent de brillants succès dans le style lyrique. Corinne triompha de Pindare lui-même; et l’on ne dit pas qu’elle fût belle. Par quelle contradiction singulière celles pour qui les Muses semblaient avoir réservé les accents de la douce Élégie, n’ont-elles su que l’inspirer ? Pourquoi ont-elles réussi de préférence dans un genre bien moins conforme à leur organisation ? Une seule avait reçu de la nature les germes brûlants de la poésie la plus audacieuse, la plus sublime: la désigner ainsi, c’est avoir nommé l’immortelle Sapho. Si son âme trop active avait pu se reposer quelques instants sur elle-même, si l’amour n’eût consumé avant l’âge son talent et sa vie, Sapho serait assise au premier rang des poètes élégiaques. Que de mouvement, que de chaleur dans cette Ode à Vénus, que Vénus même eût dictée ! Quel désordre plein de charme, quel abandon passionné dans ce petit nombre de fragments dont la suite nous est dérobée, ou plutôt sortis sans suite d’une âme orageuse qui les laissait échapper et n’y revenait plus ! Quelques vers jetés comme au hasard, retracent plus vivement ses impressions que ne l’eût fait la pièce la plus détaillée. D’un trait, elle forme un tableau: on la voit, on l’entend, on la reconnaît,