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trop de considération, trop de complaisance pour les penchants très-divers, quelques-uns très-saugrenus, qui persistent avec tant d’éclat au-dessus du singe.

Pensez donc un peu comment la nature, à bonne intention sans doute, a composé son chef-d’œuvre. Elle a mis en nous des instincts qui ont charge de conserver l’individu et l’espèce : or, ces instincts ne sont efficaces que parce qu’ils sont entraînants et impérieux, c’est-à-dire capables de s’emporter, de se pervertir. Ils n’atteignent infailliblement leur but que parce qu’ils ont en eux de quoi le dépasser à outrance. C’est ainsi que les choses sont arrangées, sans que nous y puissions rien, si ce n’est de les comprendre et d’y mettre un certain ordre au moyen des disciplines sociales. Mallebranche, au chapitre des Passions, s’en explique avec force et agrément.

« Le plaisir sensible est le caractère que la nature a attaché à l’usage de certaines choses, afin que sans avoir la peine de les examiner par la raison, nous nous en servissions pour la conservation du corps. »

Mais il ne faut pas rechercher ce plaisir hors de propos, et l’abus en est sévèrement admonesté par le même philosophe :

« Ingrats, dit-il, vous vous servez de la volonté immuable de Dieu qui est l’ordre de la nature, pour arracher de lui des faveurs que vous ne