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gens sur ce qui est bon ou mauvais pour d’autres gens, et très-souvent ces mots ne signifient pas même cela, le public passant avec la plus parfaite indifférence par-dessus le plaisir ou la convenance de ceux dont il censure la conduite, et ne regardant que sa propre inclination. Il y a beaucoup de gens qui considèrent comme une offense toute conduite qu’ils ont en dégoût, et qui la regardent comme un outrage à leurs sentiments : comme ce bigot qui, accusé de traiter avec trop d’indifférence les sentiments religieux des autres, répondait que c’était eux qui traitaient ses sentiments avec indifférence en persistant dans leur abominable croyance. Mais il n’y a aucune parité entre le sentiment d’une personne pour sa propre opinion et le sentiment d’une autre qui est offensée de ce qu’on professe cette opinion, pas plus qu’il n’y en a entre le désir d’un voleur de prendre une bourse, et le désir qu’éprouve le possesseur légitime de la garder.

Et le goût d’une personne est aussi bien sa propre affaire que son opinion ou sa bourse. Il est aisé de se figurer un public idéal qui laisse tranquilles la liberté et le choix des individus pour toute chose incertaine, exigeant d’eux seulement l’abstention des manières de se conduire que l’expérience universelle a condamnées. Mais où a-t-on vu un public qui mette de telles bornes à sa censure ? Ou bien quand le public s’inquiète-t-il de l’expérience universelle ?