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en réalité y est totalement indifférent. Les hommes regardent le génie comme une belle chose, s’il rend un individu capable d’écrire un poème inspiré ou de peindre un tableau. Mais le génie dans le vrai sens du mot, c’est-à-dire l’originalité dans la pensée et dans les actions, quoique chacun convienne que ce soit une chose à admirer, presque tout le monde au fond du cœur trouve qu’on peut très-bien s’en passer. Malheureusement ceci est trop naturel pour qu’on s’en étonne. L’originalité est une chose dont les esprits non originaux ne peuvent pas sentir l’utilité. Ils ne peuvent pas voir ce qu’elle est capable de faire pour eux, et comment le pourraient-ils ? s’ils le pouvaient, ce ne serait plus de l’originalité. Le premier service que l’originalité doit rendre à de tels esprits, c’est de leur ouvrir les yeux ; et cela étant fait et bien fait, ils auront eux-mêmes quelque chance de devenir originaux. En attendant, que ces pauvres d’esprit se souviennent que rien n’a encore été fait sans que quelqu’un ait été le premier à le faire, que tout ce qui existe de bien est le fruit de l’originalité, et qu’ils soient assez modestes pour croire qu’elle a encore quelque chose à accomplir, et pour demeurer convaincus que moins ils sentent le besoin de l’originalité, plus elle leur est nécessaire.

La vérité est que quelque hommage qu’on prétende rendre, ou même qu’on rende à la supériorité intellectuelle,