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beau jeu et le plus de chances de croître à nos facultés les plus élevées ? Ils se demandent : Qu’est-ce qui convient à ma situation, ou qu’est-ce que font ordinairement les personnes de ma position et de ma fortune, ou (pire encore) que font ordinairement les personnes d’une position et d’une fortune au-dessus de moi ? » Je ne prétends pas dire qu’ils préfèrent ce qui est la coutume à ce qui leur plaît : il ne leur vient pas à l’idée qu’ils puissent avoir de goût pour autre chose que ce qui est la coutume. Ainsi l’esprit lui-même est courbé sous le joug : même dans ce que les hommes font pour leur plaisir, la conformité est leur première pensée ; ils aiment en masse, ne portent leur choix que sur les choses qu’on fait en général ; ils évitent comme un crime toute singularité de goût, toute originalité de conduite, si bien qu’à force de ne pas suivre leur naturel, ils n’ont plus de naturel à suivre ; leurs capacités humaines sont desséchées et réduites à rien ; ils deviennent incapables de ressentir aucun vif désir, aucun plaisir naturel ; ils n’ont généralement ni opinions ni sentiments de leur cru, à eux appartenant. Maintenant, cela peut-il passer pour une saine condition des affaires humaines ?

Oui, suivant la théorie calviniste. Suivant cette théorie, l’offense capitale de l’homme, c’est d’avoir une volonté indépendante. Tout le bien dont l’humanité est capable est compris dans l’obéissance.