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vérité, on n’a de chance de la connaître en entier que par la collision des opinions adverses ; 3° même dans le cas où l’opinion reçue contiendrait la vérité et toute la vérité, on la professera comme une sorte de préjugé, sans comprendre ou sentir ses principes rationnels, si elle ne peut être discutée vigoureusement et loyalement ; 4° le sens de la doctrine elle-même sera en danger d’être perdu, ou affaibli, ou privé de son effet vital sur le caractère et la conduite ; car le dogme deviendra une simple formule, inefficace pour le bien mais encombrant le terrain et empêchant la naissance de toute conviction réelle fondée sur la raison ou sur l’expérience personnelle.

Avant de quitter ce sujet de la liberté d’opinion, il convient d’accorder quelque attention à ceux qui disent : « On peut permettre d’exprimer librement toute opinion, pourvu qu’on le fasse d’une façon modérée, et qu’on ne passe pas les bornes de la discussion loyale. » On pourrait en dire long sur l’impossibilité de fixer ces bornes supposées. Il n’est guère possible de dire : il suffit de ne pas offenser ceux dont l’opinion est attaquée, car l’expérience le prouve, ils se regarderont comme offensés, toutes les fois que l’attaque sera puissante, et ils accuseront de manquer de modération tout adversaire qui les embarrassera. Mais cette considération, quoiqu’