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intellectuel. Les chrétiens furent jetés aux lions, mais l’Église chrétienne devint un arbre magnifique, dépassant les arbres plus vieux et moins vigoureux et les étouffant de son ombre. Notre intolérance, purement sociale, ne tue personne, n’extirpe aucune opinion ; mais elle pousse les hommes à cacher leurs opinions ou à s’abstenir d’aucun effort actif pour les répandre. Avec nous, les opinions hérétiques ne gagnent ni même ne perdent grand terrain à chaque décade ou à chaque génération ; mais elles ne brillent jamais d’un vif éclat, et continuent à couver dans le cercle étroit de penseurs et de savants où elles ont pris naissance, sans jamais jeter sur les affaires générales de l’humanité une lueur, soit vraie, soit fausse. Et ainsi se soutient un état de choses très-satisfaisant pour certains esprits, parce qu’il maintient toutes les opinions prépondérantes dans un calme apparent, sans la cérémonie ennuyeuse de mettre personne à l’amende ou au cachot, tandis qu’il n’interdit pas absolument l’usage de la raison aux dissidents affligés de la maladie de penser : un plan très-propre à maintenir la paix dans le monde intellectuel et à laisser toutes choses aller à peu près comme devant. Mais le prix de cette sorte de pacification est le sacrifice complet de tout le courage moral de l’esprit humain. Un état de choses grâce auquel la plupart des esprits actifs et investigateurs trouvent utile de garder pour eux les vrais