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des individus séparés qui la composent — ses moyens de tyranniser ne sont pas restreints aux actes qu’elle commande à ses fonctionnaires politiques. La société peut exécuter, et exécute elle-même, ses propres décrets ; et si elle édicte de mauvais décrets, ou si elle en édicte à propos de choses dont elle ne devrait pas se mêler, elle exerce une tyrannie sociale plus formidable que mainte oppression légale : en effet, si cette tyrannie n’a pas à son service d’aussi fortes peines, elle laisse moins de moyens de lui échapper ; car elle pénètre bien plus avant dans les détails de la vie, et enchaîne l’âme elle-même.

C’est pourquoi la protection contre la tyrannie du magistrat ne suffit pas. La société ayant la tendance 1° d’imposer comme règles de conduite, par d’autres moyens que les peines civiles, ses idées et ses coutumes à ceux qui s’en écartent, 2° d’empêcher le développement et autant que possible la formation de toute individualité distincte, 3° d’obliger tous les caractères à se modeler sur le sien propre, l’individu doit être protégé là contre. Il y a une limite à l’action légitime de l’opinion collective sur l’indépendance individuelle : trouver cette limite, et la défendre contre tout empiètement, est aussi indispensable à une bonne condition des affaires humaines, que la protection contre le despotisme politique.

Mais si cette proposition n’est guère contestable en