Page:Mill - L'Utilitarisme.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
l’utilitarisme

immédiatement utile, de dire un mensonge. Mais d’un autre côté la culture, par l’habitude, de notre sens de la véracité est des plus utiles ; l’affaiblissement de ce sens serait des plus nuisibles ; une déviation même involontaire de la vérité a de grandes conséquences ; elle affaiblit la confiance qu’on accorde à la parole de l’homme, confiance sur laquelle est basé tout bien-être social actuel, et dont l’insuffisance fait plus que toute autre chose pour retarder les progrès de la civilisation, de la vertu, de tout ce qui est la base du bonheur humain. Nous sentons que violer une règle d’une si grande utilité pour atteindre un avantage immédiat, n’est pas avantageux ; celui qui, pour sa convenance personnelle ou celle d’un autre, fait ce qu’il peut pour priver la société d’un bien et lui infliger un mal qui dépend du plus ou moins de confiance que mettent les hommes dans la parole les uns des autres, agit comme le pire de leurs ennemis. Cependant cette règle, même sacrée comme elle l’est, admet des exceptions connues de tous les moralistes. La principale est celle-ci : quand l’empêchement d’un fait (comme la découverte d’un malfaiteur, ou l’annonce de mauvaises nouvelles à un malade dangereusement atteint) doit préserver quelqu’un (surtout autre que soi-même) d’un grand mal immérité, et