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l’utilitarisme

que peut faire l’homme et non pas ce qu’il doit faire.

C’est l’état imparfait des arrangements sociaux qui fait que le meilleur moyen de servir le bonheur des autres est de sacrifier le sien propre : tant que le monde aura la même organisation, l’esprit de sacrifice sera la plus haute vertu que puisse pratiquer l’homme. Je dirai même, cela peut paraître paradoxal, que dans l’état actuel de la société, la conscience de pouvoir vivre sans bonheur est possible. Car il n’y a que ce sentiment intime qui élève l’homme au-dessus des hasards de la vie, et lui fasse dire : laissez le destin et la fortune m’être aussi contraires que possible, ils ne peuvent me dompter. C’est lui qui nous empêche d’attendre avec trop d’anxiété les malheurs de la vie, qui nous rend capable, comme un stoïque des mauvais temps de l’empire romain, de cultiver tranquillement les sources du bonheur qui nous sont accessibles, sans nous occuper de l’incertitude de leur durée, ni de leur fin inévitable.

Les utilitaires n’ont jamais cessé de réclamer la morale du dévouement personnel comme leur appartenant aussi bien qu’aux stoïques et aux transcendantentalistes. La morale utilitaire reconnaît dans les créatures humaines le pouvoir de sacrifier leur plus