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l’utilitarisme

ration est chimérique, la seconde ne l’est pas, du moins tant que l’humanité pensera que c’est la peine de vivre et ne cherchera pas un refuge dans le suicide recommandé par Novalis dans certaines conditions. Cependant, quand on affirme aussi positivement que la vie humaine ne peut pas être heureuse, si cette affirmation n’est pas un sophisme de mots, du moins est-elle une exagération. Si l’on entend par bonheur une continuité de plaisirs élevés, il est évident qu’alors il est impossible à atteindre. Un état exalté de plaisir dure quelques instants, rarement quelques heures ou quelques jours, c’est une flamme brillante, mais qui s’éteint vite. Les philosophes qui enseignent que le bonheur est le but de la vie, le savent aussi bien que ceux qui les insultent. Le bonheur dont ils veulent parler ne compose pas une existence d’extase, mais une existence faite de peines peu nombreuses et transitoires, de plaisirs nombreux et variés, avec une prédominance de l’actif sur le passif, une existence assise sur ce principe, qu’il ne faut pas demander à la vie plus qu’elle ne peut donner.

Une vie composée de cette façon a toujours paru, aux êtres fortunés qui en ont joui, mériter le nom de vie heureuse. Une telle existence est en somme le lot d’un grand nombre de personnes, du moins pendant