Page:Mill - L'Utilitarisme.djvu/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
l’utilitarisme

Cette théorie de la vie excite dans beaucoup d’esprits une répugnance invétérée parce qu’elle contredit un sentiment des plus respectables. Supposer que la vie n’a pas de fin plus haute, pas d’objet meilleur et plus noble à poursuivre que le plaisir, c’est là, d’après eux, une doctrine bonne pour les pourceaux. Il y a peu de temps encore, c’est ainsi qu’on traitait les disciples Épicure ; et aujourd’hui les adversaires allemands, français, anglais de l’utilitarisme n’emploient pas de termes de comparaison plus polis.

Les Épicuriens ont toujours répondu à ces attaques, que ce n’étaient pas eux mais leurs adversaires qui présentaient la nature humaine sous un jour dégradant, puisque l’accusation suppose que les êtres humains ne sont capables que de se plaire là où se plaisent les pourceaux. Si la supposition était vraie on ne pourrait pas la contredire, mais alors elle ne serait plus une supposition honteuse : car si les sources du plaisir étaient les mêmes pour les hommes et pour les pourceaux, la règle de vie bonne pour les uns serait bonne pour les autres. La comparaison de la vie des Épicuriens avec celle des bêtes, est dégradante précisément parce que les plaisirs des bêtes ne satisfont pas l’idée du bonheur que s’est faite l’être