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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

vers t’abandonne !... La scène prend alors un caractère bien significatif : la marche des Hullans et les vins versés avec profusion font perdre aux convives toute réserve. On sonne la charge, les convives chancelants escaladent les loges comme si l’on montait à l’assaut, des cocardes blanches sont distribuées, la cocarde tricolore est, dit-on, foulée aux pieds, et cette troupe se répand ensuite dans les galeries du château, où les dames de la cour lui prodiguent les félicitations et la décorent de rubans et de cocardes.

Tel fut ce fameux repas du 1er octobre, que la cour eut l’imprudence de renouveler le 5. On ne peut s’empêcher de déplorer sa fatale imprévoyance ; elle ne savait ni se soumettre à sa destinée, ni la changer. Le rassemblement des troupes, loin de prévenir l’agression de Paris, la provoqua ; le banquet ne rendit pas le dévouement des soldats plus sûr, tandis qu’il augmenta l’indisposition du peuple. Pour se garder il ne fallait pas tant d’ardeur, ni pour fuir tant d’appareil ; mais la cour ne prenait jamais la mesure propre à la réussite de ses desseins, ou ne la prenait qu’à demi, et pour se décider elle attendait toujours qu’il ne fût plus temps.

À Paris, la nouvelle du repas produisit la plus grande fermentation. Dès le 4, des rumeurs sourdes, des provocations, contre-révolutionnaires, la crainte des complots, l’indignation contre la cour, la frayeur croissante de la disette, tout annonçait un soulèvement ; la multitude tournait déjà ses regards vers Versailles. Le 5, l’insurrection éclata d’une manière violente et invincible ; le manque absolu de farine en fut le signal. Une jeune fille entra dans un corps-de-garde, s’empara d’un tambour, et parcourut les rues en battant la caisse et en criant : Du pain ! du pain ! elle fut bientôt entourée d’un cortége de femmes. Cette troupe s’avança vers l’Hôtel-de-Ville en se grossissant toujours ; elle força la garde à cheval qui était aux portes de la commune, pénétra dans l’intérieur en demandant du pain et des armes ; elle enfonça les portes, s’empara des armes, sonna le tocsin, et se disposa à marcher sur Versailles. Bientôt le peuple en masse fît entendre le même vœu, et le