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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

Les suites du 14 juillet furent immenses. Le mouvement de Paris se communiqua aux provinces ; le peuple, à l’imitation de celui de la capitale, s’y organisa partout en municipalités pour se régir, et en gardes nationales pour se défendre. L’autorité ainsi que la force se déplacèrent entièrement ; la royauté les avait perdues par sa défaite, et la nation les avait conquises. Les nouveaux magistrats étaient seuls puissants et seuls obéis ; les anciens étaient devenus l’objet de la défiance. Dans les villes, on se déchaînait contre eux et contre les privilégiés qu’on supposait, non sans raison, ennemis du changement qui venait de s’opérer. Dans les campagnes, on incendiait les châteaux, et les paysans brûlaient les titres de leurs seigneurs. Il est bien difficile que, dans un moment de victoire, on n’abuse pas de la puissance. Mais il importait, pour apaiser le peuple, de détruire les abus, afin qu’en voulant s’y soustraire il ne confondît point les priviléges avec les propriétés. Les ordres avaient disparu ; l’arbitraire était détruit ; leur ancien accompagnement, l’inégalité, devait être supprimé. C’est par là qu’il fallait procéder à l’établissement de l’ordre nouveau ; ces préliminaires furent l’œuvre d’une seule nuit.

L’assemblée avait adressé au peuple des proclamations propres à rétablir le calme. L’érection du Châtelet en tribunal chargé de juger les conspirateurs du 14 juillet, avait aussi contribué à ramener l’ordre, en satisfaisant la multitude. Il restait à prendre une mesure plus importante, celle de l’abolition des priviléges. Le soir du 4 août, le vicomte de Noailles en donna le signal : il proposa le rachat des droits féodaux, et la suppression des servitudes personnelles. Cette motion commença les sacrifices de tous les privilégiés ; il s’établit entre eux une rivalité d’offrandes et de patriotisme. L’entraînement devint général ; en quelques heures, on décréta la cessation de tous les abus. Le duc du Châtelet proposa le rachat des dîmes, et leur changement en taxe pécuniaire ; l’évêque de Chartres, la suppression du droit exclusif de chasse ; le comte de Virieu, celle des fuies et des colombiers. L’abolition des justices seigneuriales, celle de la vénalité des charges de la magistrature, celle