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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

Tuileries, sur les quais, sur les ponts, pour la défense de la capitale contre l’invasion des troupes, à laquelle on s’attendait d’un moment à l’autre.

Pendant cette matinée même on donna l’alarme, en annonçant que les régiments postés à Saint-Denis étaient en marche et que les canons de la Bastille étaient braqués sur la rue Saint-Antoine. Le comité envoya de suite à la découverte, plaça des citoyens pour défendre ce côté de la ville, et députa au gouverneur de la Bastille pour l’engager à retirer ses canons et à ne commettre aucune hostilité. Cette alerte, la crainte qu’inspirait la forteresse, la haine des abus qu’elle protégeait, la nécessité d’occuper un point si important, et de ne plus le laisser à ses ennemis dans un moment d’insurrection, dirigèrent de ce côté l’attention du peuple. Depuis neuf heures du matin jusqu’à deux heures, il n’y eut qu’un mot d’ordre d’un bout de Paris à l’autre ! À la Bastille ! à la Bastille ! Les citoyens s’y rendaient de tous les quartiers par pelotons, armés de fusils, de piques, de sabres. La foule qui l’environnait était déjà considérable ; les sentinelles de la place étaient postées, et les ponts levés comme dans un moment de guerre.

Un député du district de Saint-Louis de la Culture, nommé Thuriot de la Rosière, demanda alors à parler au gouverneur, M. Delaunay. Admis en sa présence, il le somma de changer la direction de ses canons. Le gouverneur répondit que les pièces avaient été de tout temps sur les tours ; qu’il n’était pas en son pouvoir de les faire descendre ; que du reste, instruit des inquiétudes des Parisiens, il les avait fait retirer de quelques pas et sortir des embrasures. Thuriot obtint avec peine de pénétrer plus avant, et d’examiner si l’état de la forteresse était aussi rassurant pour la ville que le disait le gouverneur. Il trouva, en avançant, trois canons dirigés sur les avenues de la place, et prêts à balayer ceux qui entreprendraient de la forcer. Environ quarante Suisses et quatre-vingts invalides étaient sous les armes. Thuriot les pressa, ainsi que l’état-major de la place, au nom de l’honneur et de la patrie, de ne pas se montrer ennemis du peuple ; les