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RÈGNE DE LOUIS XVIII.

nier rejeton mâle de la branche aînée des Bourbons. Sa mort répandit la consternation dans Paris et dans la France, où les résultats de ce sinistre événement sont aussitôt prévus. La fureur des royalistes ne connaît plus de bornes, ils veulent rendre M. Decazes responsable du meurtre ; l’un de leurs députés pousse le délire jusqu’à l’accuser du crime à la tribune. En vain, pour conjurer l’orage, il se hâte de présenter aux chambres des lois exceptionnelles, l’une contre la liberté individuelle, l’autre contre la presse, ainsi qu’un nouveau projet de loi électorale. Il ne conjure point l’orage du côté droit, et soulève en même temps contre lui une tempête au côté gauche. Royalistes et libéraux provoquent sa chute ; il résiste encore, c’est dans le cœur du roi que son pouvoir est enraciné ; mais le comte d’Artois et madame la duchesse d’Angoulême demandent avec instance à Louis XVIII le renvoi de son favori ; leurs vœux sont enfin exaucés : M. Decazes reçoit le titre de duc, et l’ambassade de Londres, et M. de Richelieu formera le nouveau cabinet, qui lui-même n’aura qu’une courte existence. De ce moment, et par sa propre faute, le parti libéral perd la direction des affaires ; le pouvoir va passer aux mains des royalistes, et la France, frappée presque sans relâche par une foule de mesures anti-nationales et destructives de ses libertés, ne sortira de la voie rétrograde où la pousse une main téméraire, qu’en renversant le trône sur la charte déchirée.

La plus grande partie de l’Europe était alors dans un état d’effervescence violent, et l’on voyait s’accomplir la prédiction exprimée par cette parole célèbre : « La révolution française fera le tour du monde. » Les mouvements convulsifs qui avaient si longtemps agité la France s’étendaient au loin, et des secousses volcaniques se faisaient sentir des bords de l’Océan à ceux de la mer Adriatique. Les souverains avaient associé les peuples à leurs haines et à leur vengeance à l’égard de Napoléon, en flattant leurs sentiments généreux, et en leur promettant des institutions libres, pour prix de leur énergique résistance ; mais après la lutte, lorsque l’ennemi commun eut été abattu, les souverains oublièrent leurs promesses, et