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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

On prend les bustes de Necker et du duc d’Orléans, car le bruit que ce dernier devait être exilé s’était aussi répandu ; on les entoure d’un crêpe, et on les porte en triomphe. Ce cortége traverse les rues Saint-Martin, Saint-Denis, Saint-Honoré, et se grossit à chaque pas. Le peuple fait mettre chapeau bas à tous ceux qu’il rencontre. Le guet à cheval se trouve sur sa route, il le prend pour escorte. Le cortége s’avance ainsi jusqu’à la place Vendôme, où l’on promène les deux bustes autour de la statue de Louis XIV. Un détachement de Royal-Allemand arrive, veut disperser le cortége, est mis en fuite à coups de pierres, et la multitude continuant sa route, parvient jusqu’à la place Louis XV. Mais là, elle est assaillie par les dragons du prince de Lambesc ; elle résiste quelques moments, est enfoncée ; le porteur d’un des bustes et un soldat des gardes-françaises sont tués : le peuple se disperse, une partie fuit vers les quais ; une autre se replie en arrière sur les boulevards, le reste se précipite dans les Tuileries par le pont Tournant. Le prince de Lambesc les poursuit dans le jardin, le sabre nu, à la tête de ses cavaliers ; il charge une multitude sans armes, qui n’était point du cortége et qui se promenait paisiblement. Dans cette charge, un vieillard est blessé d’un coup de sabre ; on se défend avec des chaises, on monte sur les terrasses ; l’indignation devient générale, et le cri aux armes ! retentit bientôt partout, aux Tuileries, au Palais-Royal, dans la ville et dans les faubourgs.

Le régiment des gardes-françaises était, comme nous l’avons déjà dit, bien disposé pour le peuple : aussi l’avait-on consigné dans ses casernes. Le prince de Lambesc, craignant malgré cela qu’il ne prît parti, donna ordre à soixante dragons d’aller se poster en face de son dépôt, situé dans la Chaussée-d’Antin. Les soldats des gardes, déjà mécontents d’être retenus comme prisonniers, s’émeuvent à la vue de ces étrangers, avec lesquels ils avaient eu une rixe peu de jours auparavant. Ils voulaient courir aux armes, et leurs officiers eurent beaucoup de peine à les retenir en employant tour à tour les menaces et les prières. Mais ils ne voulurent