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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

Pendant la guerre maritime avec l’Angleterre, la marine française avait été presque entièrement ruinée. Trois cent quarante vaisseaux avaient été pris ou détruits, et la plupart des colonies étaient tombées entre les mains des Anglais. Celle de Saint-Domingue, la plus importante de toutes, après avoir secoué le joug des blancs, avait continué cette révolution américaine qui, commencée par les colonies d’Angleterre, devait finir par celles de l’Espagne, et changer les colonies du nouveau monde en états indépendants. Les noirs de Saint-Domingue continuèrent à vouloir maintenir, à l’égard de la métropole, leur affranchissement, qu’ils avaient conquis sur les colons, et se défendre contre les Anglais. Ils avaient à leur tête un des leurs, le fameux Toussaint-Louverture. La France devait consentir à cette révolution, déjà assez coûteuse à l’humanité. Le gouvernement métropolitain ne pouvait plus être rétabli à Saint-Domingue ; et il fallait, en resserrant les liens commerciaux avec cette ancienne colonie, se donner les seuls avantages réels que l’Europe puisse retirer aujourd’hui de l’Amérique. Au lieu de cette politique prudente, Bonaparte tenta une expédition afin de soumettre l’île. Quarante mille hommes furent embarqués pour cette entreprise désastreuse. Il était impossible que les noirs résistassent d’abord à une pareille armée ; mais, après les premières victoires, elle fut atteinte par le climat, et de nouvelles insurrections assurèrent l’indépendance de la colonie. La France essuya la double perte d’une armée et de relations commerciales avantageuses.

Bonaparte, qui avait eu jusque-là pour but principal la fusion des partis, tourna alors toute son attention vers la prospérité intérieure de la république et l’organisation du pouvoir. Les anciens privilégiés de la noblesse et du clergé étaient rentrés dans l’état, sans former des classes particulières. Les prêtres réfractaires, moyennant un serment d’obéissance, pouvaient exercer leur culte, et touchaient leurs pensions du gouvernement. Un acte d’amnistie avait été porté en faveur des prévenus d’émigration : il ne restait plus qu’une liste d’environ mille noms pour ceux qui demeuraient attachés à la fa-