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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

portation. Il voulut atteindre à la fois les ennemis de la république dans les conseils, dans les journaux, dans les assemblées électorales, dans les départements, en un mot, partout où ils s’étaient introduits. Les élections de quarante-huit départements furent cassées ; les lois en faveur des prêtres et des émigrés furent rapportées, et bientôt la disparition de tous ceux qui avaient dominé dans les départements, depuis le 9 thermidor, releva le parti républicain abattu. Le coup d’état de fructidor ne fut point purement central, comme la victoire de vendémiaire ; il ruina le parti royaliste, qui n’avait été que repoussé par la défaite précédente. Mais, en remplaçant de nouveau le gouvernement légal par la dictature, il rendit nécessaire une autre révolution, dont il sera parlé plus tard.

On peut dire qu’au 18 fructidor an V il fallait que le directoire triomphât de la contre-révolution, en décimant les conseils ; ou que les conseils triomphassent de la république, en renversant le directoire. La question ainsi posée, il reste à savoir, 1° si le directoire pouvait vaincre autrement que par un coup d’état ; 2° s’il n’a pas abusé de sa victoire.

Le gouvernement n’avait pas la faculté de dissoudre les conseils. Au sortir d’une révolution, qui avait eu pour but d’établir le droit extrême, on n’avait pas pu donner à une autorité secondaire le contrôle de la souveraineté du peuple, et subordonner, dans certains cas, la législature au directoire. Cette concession d’une politique expérimentale n’existant point, quel moyen restait-il au directoire pour chasser l’ennemi du cœur de l’état ? Ne pouvant plus défendre la révolution en vertu de la loi, il n’avait pas d’autre ressource que la dictature ; mais, en y recourant, il manqua aux conditions de son existence ; et, tout en sauvant la révolution, il se perdit bientôt lui-même.

Quant à sa victoire, il l’entacha de violence, en voulant la rendre trop complète. La déportation fut étendue à trop de victimes ; les petites passions des hommes se mêlèrent à la défense de la cause, et le directoire ne montra point cette parcimonie d’arbitraire, qui est la seule justice des coups d’état.