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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

au peuple qu’à obtenir de la royauté. C’était presque uniquement en faveur du tiers-état que la nouvelle révolution allait s’opérer, et les deux premiers ordres étaient portés à se coaliser avec la cour contre lui, comme naguère ils s’étaient coalisés avec lui contre la cour. L’intérêt seul motivait ce changement de parti, et ils se réunissaient au monarque sans attachement, comme ils avaient défendu le peuple sans vue de bien public.

Rien ne fut épargné pour maintenir la noblesse et le clergé dans ces dispositions. Les députés de ces deux ordres furent l’objet des prévenances et des séductions. Un comité, dont les plus illustres personnages faisaient partie, se tenait chez la comtesse de Polignac ; leurs principaux membres y furent admis. C’est là qu’on gagna d’Éprémenil et d’Entraigues, deux des plus ardents défenseurs de la liberté dans le parlement ou avant les états-généraux, et qui devinrent depuis ses antagonistes les plus déclarés. C’est là que fut réglé le costume des députés des divers ordres, et qu’on chercha à les séparer d’abord par l’étiquette, ensuite par l’intrigue, et en dernier lieu par la force. Le souvenir des anciens états-généraux dominait la cour : elle croyait pouvoir régler le présent sur le passé, contenir Paris par l’armée, les députés du tiers par ceux de la noblesse, maîtriser les états en divisant les ordres, et, pour séparer les ordres, faire revivre les anciens usages qui relevaient la noblesse et abaissaient les communes. C’est ainsi qu’après la première séance on crut avoir tout empêché en n’accordant rien.

Le 6 mai, lendemain de l’ouverture des états, la noblesse et le clergé se rendirent dans leurs chambres respectives et se constituèrent. Le tiers, à qui sa double représentation avait fait accorder la salle des états, parce qu’elle était la plus grande, y attendit les deux autres ordres ; considéra sa situation comme provisoire, ses membres comme députés présumés, et adopta un système d’inertie jusqu’à ce que les deux autres ordres se ralliassent à lui. Alors commença une lutte mémorable, dont l’issue devait décider si la révolution serait opérée ou interdite. Tout l’avenir de la France était dans la sépara-